lundi 18 août 2014

Crise économique en France : l'analyse de Sapir

Ci-dessous le résumé d'une longue analyse publiée par J. Sapir sur son blog.

Introduction

Le gouvernement français vient, à l’occasion des commémorations du 14 juillet 2014, de prévenir par la voix du Premier Ministre M. Manuel Valls que la rentrée sera « difficile ».

Il faut tenter d’analyser plus en profondeur la situation de l’économie française. La France, en dépit d’une amélioration passagère en 2010, n’est pas réellement sortie de la crise dans laquelle elle fut plongée en 2008 par les turbulences de la finance internationale. Voilà qui témoigne de ce que, au-delà de la crise conjoncturelle, et des politiques – bonnes ou mauvaises – qui ont été appliquées, la France connaît une crise structurelle. Ceci se traduit par un pessimisme important de la population et le sentiment que le pays va mal.

Si la perception que la France va mal est aussi répandue, ce n’est pas en raison d’un soi-disant malaise psychologique des Français. Il y a bien des facteurs que l’on pourrait qualifier d’« objectifs » pour expliquer ce sentiment et ce ressenti, et ces facteurs se concentrent sur la situation économique.

Constat

L’économie française est en crise depuis les années 2007-2008. Après avoir connu une période où sa croissance était plutôt supérieure à celle de ses voisins, elle n’a pas connu une réelle reprise après les années de la crise financière.

L’écart avec l’Allemagne, qui se creuse depuis 2011 alors qu’il tendait à se réduire dans la période précédente, est ici symptomatique des déséquilibres qui affectent la France. Il se dégage alors l’impression que la crise financière a brisé le mécanisme de la croissance française. Mais, si l’on regarde plus attentivement les évolutions depuis l’instauration de la zone Euro, on constate que cette dernière a provoqué un freinage important de la croissance. La croissance moyenne des pays de la zone Euro est ainsi sensiblement plus faible que celle des pays de l’OCDE.

C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier les résultats de l’économie française pour cette même période 1999-2007. En effet, la France ne maintenait une croissance relativement forte qu’au prix de déséquilibres, en particulier budgétaires, qui étaient grandissants. En fait, la croissance française, pour respectable qu’elle ait été de 2000 à 2007, n’avait pas arrêté le processus de désindustrialisation que connaissait l’économie. De même, cette croissance n’avait pas permis de réduire significativement le chômage de masse qui pesait sur l’économie française. Ces problèmes, latents dans la période 2000-2007, ont été révélés dans la période d’après la crise car, à la crise financière est venu s’ajouter celle des dettes souveraines dans la zone Euro, qui a dramatiquement réduit les marges de manœuvres des gouvernements français successifs. En un sens, la crise de 2007-2008 a révélé le caractère insoutenable de la stratégie de croissance adoptée par l’économie française dans la période précédente.

Une crise qui dure

Le poids de la crise, en effet, se fait désormais sentir depuis six ans. Il y a donc ici un effet cumulatif. Cette situation, si elle n’est pas spectaculaire et ne peut se comparer à ce que vivent d’autres pays, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, n’en est pas néanmoins très inquiétante. La croissance est à l’arrêt et les facteurs de croissance, consommation, investissements et commerce international sont déprimés.

Il faut, de plus, ici rappeler un fait : avec un PIB qui stagne en termes réels, et à structure de répartition constante, un pays dont la population s’accroît régulièrement comme c’est le cas de la France voit le PIB par habitant diminuer mécaniquement. Cela se traduit par un revenu en baisse, mais aussi – car les résistances aux diverses coupes sociales que veut imposer le gouvernement sont naturellement fortes – par une hausse des prélèvements pour tenter de réduire les divers déficits, qu’il s’agisse du déficit budgétaire, mais aussi du déficit des assurances sociales ou du déficit du commerce extérieur.

Une crise de longue durée

La croissance du PIB a été durablement cassée par la crise financière de 2007-2008. Alors que le taux de croissance de la France était l’un des plus importants de la zone Euro de 2000 à 2007, on constate une tendance à la stagnation depuis.

PIB de la France en prix constants (1995)

PIB de la France par habitant

Si on regarde l’évolution de la richesse par habitant, on constate alors que la France s’appauvrit depuis la crise de 2007-2008. C’est une situation sans égale depuis 1945. Le caractère nouveau de cette situation, car la richesse par habitant était croissante depuis la fin de la seconde guerre mondiale, explique aussi le désarroi de la population et du gouvernement.

Baisse de la consommation

La baisse de la consommation fut aggravée par les mesures contenues dans les réformes dites Fillon, qui ont été prises en 2011. Le gouvernement de l’époque était confronté à l’accroissement rapide de la dette publique (en proportion du PIB) et du déficit budgétaire. Il instaura des mesures visant à réduire les dépenses publiques (en particulier en allongeant l’âge de départ à la retraite) et à accroître les recettes. Mais, il sous-estima probablement le choc dépressif de ces mesures. D’une manière générale, il faut ici constater que les gouvernements successifs que la France a connus ces dernières années, qu’il s’agisse des gouvernements UMP ou, depuis juin 2012 des gouvernements PS, ont commis une erreur importante d’appréciation en ce domaine.

Variation de la consommation en France

Tendance à la baisse de la consommation en France

Depuis 2011, sous les coups des politiques d’austérité imposées pour « sauver la zone Euro », la consommation fléchit.

La situation qui s’était produite du fait de la crise, et qui avait été compensée par les politiques expansives de 2009 et 2010, réapparaît aujourd’hui, et avec une amplitude sans égale.

Il faudrait, bien entendu, y ajouter la baisse des services publics à la population, que ce soit en qualité (dans les transports) ou en qualité et en quantité comme dans la santé et l’enseignement. La politique budgétaire des gouvernements depuis 2010, on l’oublie trop souvent, a abouti à une stabilisation des dépenses publiques au sens strict.

La question du chômage

Devant cette baisse de la consommation, et devant des perspectives internationales dégradées, il n’est pas étonnant que le chômage ne cesse d’augmenter.

La question des chiffres du chômage est aujourd’hui, à l’évidence, une question centrale, et pas seulement en raison de l’imprudente affirmation faite en décembre 2012 par le Président François Hollande sur une « inversion » de la courbe du chômage. On constate d’ailleurs que les données officielles sont contestées aux États-Unis, et dans un certain nombre de pays européens. Aux Etats-Unis en particulier, c’est la baisse du taux de participation au travail qui suscite controverse.

(note: nous avons étudié ce point sur le blog précédemment:


Hausse continue du chômage en France

La question de l'investissement

Dans cette situation, il n’est donc pas étonnant que l’investissement soit en panne.

Un entrepreneur investit en fonction de l’espérance de profit qu’il a sur cette opération. Dans la majorité des cas elle relèvera du sentiment psychologique de l’entrepreneur, de sa représentation de ce que l'avenir pourrait être, mais ne sera pas forcément.

Or, les entrepreneurs sont confrontés à deux phénomènes : d’une part, la baisse de la consommation des ménages, que nous avons évoquée, et d’autre part la chute de la production industrielle, à l’exception des industries agricoles et alimentaires.

Baisse de la production industrielle en France

Ceci induit une moindre volonté d’investir, à contraintes financières inchangées. L’investissement apparaît aujourd’hui essentiellement contraint par la faiblesse de la demande. Il en résulte une baisse absolue de l’investissement ces dernières années.

On constate en effet que l’investissement, qui avait tendu à s’accroître fortement de 2003 à 2007, n’a pas récupéré du choc de la crise financière.

Le rétablissement partiel de 2011 s’explique largement par les investissements publics décidés en réaction à la situation créée par la crise. Cet effort particulier d’investissements publics fut cassé par le retournement de politique économique imposé par M. François Fillon, alors premier ministre, en 2011.

Evolution de l'investissement en France

En 2013, le montant global de l’investissement est à peine supérieur à 350 milliards d’euros (aux prix de 1995) alors qu’il avait atteint 395 milliards en 2007, soit une baisse de -11,4%. Les conséquences sont considérables, tant à court qu’à moyen terme.

A court terme, la croissance n’est tirée ni par la consommation intérieure, ni par l’investissement. Comment s’étonner alors qu’elle soit atone ?

Mais, à long terme, la baisse de l’investissement implique une baisse de la compétitivité générale des entreprises industrielles, à taux de change constant. Or, du fait de l’Euro, la seule stratégie possible pour la France repose sur des gains de compétitivité supérieurs à ses partenaires obtenus par un effort proportionnellement plus important d’investissement.

Des politiques d'austérité inadaptées

Les politiques mises en œuvre depuis 2011 portent une large responsabilité dans la situation actuelle, à la fois en raison de leurs effets, mais aussi en raison de problèmes qu’elles n’ont pas su, ou voulu, traiter.

De ce point de vue, on peut répertorier trois causes spécifiques :

1. les effets des politiques d’austérité mise en œuvre depuis 2011 et poursuivie avec constance,
2. une erreur fondamentale sur le mécanisme de l’investissement,
3. l’impact de la présence de la France dans la zone Euro.

1. Des politiques d’austérité, caractérisées par une forte réduction des dépenses publiques et une hausse des recettes fiscales, ont été mises en place à partir de 2010-2011 dans toute l’Europe quand il est devenu évident que la crise des dettes souveraines menaçait durablement la survie de la zone Euro.

Ces politiques furent les plus brutales dans les pays les plus touchés par cette crise, comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, mais elles furent étendues progressivement à un grand nombre de pays. Ces politiques furent introduites tant au prétexte que l’accroissement de la dette publique pénalisait la croissance que dans l’espoir que l’austérité ne pénaliserait que peu la croissance.

Les problèmes de prévision, et en particulier la sous-estimation du caractère profondément dépressif des politiques d’austérité, renvoient à la structure même des modèles sur lesquels tant la Commission Européenne que les différents gouvernements font leurs analyses. On retrouve ce problème dans le modèle MESANGE, élaboré à l’INSEE et qui est utilisé par le Ministère des Finances français.

Les gouvernements successifs depuis 2011 ont donc une responsabilité évidente dans la situation que connaît l’économie française en raison des politiques qu’ils ont mises en œuvre. Mais ceci ne se limite pas à la politique d’austérité.

2. Une autre source d’erreurs provient de la vision qu’on eut ces gouvernements du processus d’investissement. C’est ce qui est appelé, dans le débat politique français la « politique de l’offre ». Ici encore, il faut noter l’influence néfaste de certains modèles économiques qui ont influencé les conseillers économiques des dirigeants politiques.

L’idée d’une politique de l’offre, qui est au cœur de la politique du gouvernement français, n’est pertinente que si ce sont les coûts qui limitent l’investissement réel. Il est clair que c’est bien plus du côté de la demande que se situe le problème. C’est pourquoi, la combinaison de mesures pour relancer massivement l’activité sans perte de compétitivité (ce qui implique la souveraineté monétaire) et d’un certain niveau d’inflation pour s’assurer que le revenu nominal des ménages et des entrepreneurs soit en hausse s’impose. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que l’on sortira du chômage de masse. Ceci n’est pas compatible avec le maintien en l’état de la zone Euro.

3. Il faut maintenant regarder une cause plus profonde à la crise, et qui renvoie à un choix décisif fait par les élites françaises dans les années 1990, celui d’adhérer au projet de monnaie unique connu comme l’Euro. L’adhésion à l’Euro implique l’unicité de la politique monétaire, qui est désormais dévolue à la Banque Centrale Européenne.

Le problème de la compétitivité générale de l’économie française se pose, comme en témoigne tant le déficit commercial que le rôle du commerce international dans la croissance. On peut constater que les performances économiques de la France se sont détériorées depuis la mise en place de l’Euro.

La solution évidente résiderait ici dans une dissolution de la zone Euro qui permettrait à chaque pays d’avoir le taux de change correspondant aux réalités de son économie. Ce que nous perdrions par rapport à l’Italie et à l’Espagne qui, n’en doutons pas, dévalueraient plus que nous, nous le gagnerions et au-delà par rapport à l’Allemagne et aux pays de la zone Dollar. On aurait alors une remise en ordre des balances commerciales, l’excédent allemand diminuant tandis que la France, l’Italie ou Espagne seraient tirés par la croissance de leur commerce tant extérieur qu’intérieur.

Cette solution est, pour l’instant, rejetée par les différents gouvernements même si un certain nombre de responsables reconnaissent, en privé comme en public, le rôle négatif du taux de change de l’Euro sur l’économie française.

Conclusion

La crise que connaît aujourd’hui l’économie française n’est pas une crise conjoncturelle mais bien une crise structurelle, ou plus précisément une crise qui provient de la contradiction entre les structures de l’économie française (y compris ses structures démographiques) et le cadre qui est imposé par la zone Euro.

La France, de ce point de vue, n’est pas le seul pays à souffrir de la zone Euro. La France a besoin d’une autre politique monétaire, et budgétaire, que celle qui convient à l’Allemagne, pays où la population décroit fortement.

Cette crise est, par ailleurs, amplifiée par les politiques mises en œuvre pour stabiliser la crise des dettes souveraines au sein de la zone Euro. Ces politiques, basées sur des modèles erronés, par l’impact négatif qu’elles ont sur la croissance de différents pays, et en particulier sur la croissance française, provoquent l’accroissement de la charge de la dette et ne font que reproduire la crise contre laquelle elles étaient censées lutter.

La dimension conjoncturelle de la crise existe bien aussi, mais comme résultat d’un désordre plus fondamental. C’est ce constat que se refusent à tirer, pour des raisons politiques et idéologiques, les dirigeants français. Ces dirigeants se sont convertis à la « politique de l’offre », sans en mesurer les implications ni les contradictions, en particulier dans le domaine de l’investissement. Cette politique ne peut qu’avoir des conséquences néfastes sur la croissance française.

Dans le contexte actuel de détérioration de la situation sur le continent européen à la suite des événements en Ukraine depuis le début de l’année 2014, la situation ne peut que s’aggraver. Les effets des sanctions prises par les pays de l’UE contre la Russie et en retour la décision du 7 août 2014 de ce dernier pays d’introduire un embargo contre les produits alimentaires, ne pourront qu’être négatifs sur a commerce international.

Il est ainsi probable que le chiffre de croissance pour 2014, estimé fin 2013 à 1,2% et corrigé au printemps 2014 à 0,8% sera en définitive en réalité autour de 0,5%. Compte tenu des gains de productivité qui se maintiennent dans l’industrie manufacturière, cette très faible croissance devrait se traduire par un nouvel accroissement du chômage, et des destructions d’emplois importantes dans l’industrie.

La hausse des recettes fiscales sera aussi moins importante que prévue initialement et les dépenses des budgets sociaux (comme l’assurance chômage), par contre, seront en hausse. Le déficit budgétaire pour l’année 2014 devrait être plus important que prévu, et le poids de la dette publique calculé en pourcentage du PIB devrait continuer à augmenter.

Le risque de voir la situation déboucher sur une « mini-Guerre Froide » en Europe contient pour l’économie française la menace de voir la situation récessive actuelle se traduire à terme en véritable dépression. Le fait que nous soyons aujourd’hui à la limite de la déflation accroît ce danger.

Source:
http://russeurope.hypotheses.org/2619

Marine Le Pen reconnue meilleure économiste
http://www.youtube.com/watch?v=Ee7n8Ay5uZU

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